Collectif culture du PCF

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Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste. Intervention au Grand Parquet

 
 
 
 

Je trouve cette soirée et nos débats extrêmement enrichissants. En rebondissant sur ce qu’a dit Fabien [Barontini], il y a quelques instants, je veux dire qu'il me semble nécessaire de réfléchir à ce qu'il faut transformer et, dans le même temps, de nous demander pourquoi nous butons dans la société. Alors qu’il y a tant de besoin de changement, pourquoi avons-nous l’impression parfois de buter contre des obstacles aussi forts ? En matière culturelle, comme de manière plus générale, Nicolas Sarkozy a dévasté beaucoup de ce qui existait ou était engagé en impulsant un saut qualitatif de l’agression de la droite contre les politiques culturelles. Les inégalités sont gigantesques et force est de constater que la société ne peut pas continuer comme ça. Il y a de la créativité dans notre pays, en tous les cas de la disponibilité qui m’apparaît très forte mais elle cohabite avec un sentiment d’impuissance. C'est cette créativité et disponibilité qu’il s’agit de libérer pleinement car nous ne sommes pas dans une société qui aurait renoncé ou qui serait à genoux. Ce qui est réjouissant dans l'initiative de ce soir qui est à l’image de ce qu’on essaie de construire, très profondément, avec le Front de gauche, c’est la perspective de la mise en mouvement de toutes les forces sociales et populaires qui sont capables d’inventer un autre avenir et qui en ont sûrement tellement besoin ; et la culture est partie intégrante de ce projet d’émancipation humaine et de cette mise en mouvement. Première idée : il me paraît impossible d’aider aujourd’hui les gens ou de permettre aux gens de changer la société s’ils ne sont pas, si nous ne sommes pas, capables tous ensemble d’avoir un autre rapport à l’autre et un autre rapport au monde. Je pense qu'il s'agit là d'un premier obstacle : l’envie de changer, de bousculer la société cohabite avec des visions qui sont souvent très rabougries, très raccourcies, très étroites du monde alors qu’il faudrait ouvrir les fenêtres pour pouvoir se mettre dans le sens du changement du monde actuel. Je prends quelques exemples d’actualité. Ce qui se passe en Tunisie et qui nous enthousiasme, nous, provoque de la joie mais aussi tellement de peurs dans la société. Il y a donc « quelque chose qui ne va pas » dans la manière dont les gens arrivent à embrasser le monde tel qu’il est en train de bouger. On le note avec cet événement-là comme avec beaucoup d’autres ; les gens sont en butte à des horizons extrêmement étroits. On le voit aussi dans d'autres domaines : dans le travail, une question qui est en train de devenir centrale, où se pose le problème de s'en libérer, c'est le sens du travail qui interrogé,dans l'idée de redevenir libre dans son travail. Ce n’est pas une question posée uniquement dans le monde de la culture et de la création, on le relève dans toutes les entreprises en ce moment ; ça explose !Il faut donc en quelque sorte « repousser les limites » dans lesquelles on arrive à penser le monde et aider les gens à repousser ces limites-là. Sinon, nous n’arriverons pas à changer le monde. Et je crois que le débat politique sur la place de la culture, que dans la bataille que nous menons sur cette question, gît, très profondément, cet enjeu politique. Dans mon esprit, et pour faire écho à ce que disait Jean-Luc Gonneau, il ne s'agit pas d'une promesse mais bien d'un effort politique à accomplir pour pouvoir entreprendre les changements que nous voulons réaliser. Autre exemple : quand je lis la une du Monde qui est un grand journal « culturel » français… qui titre ce soir sur la mort de Ben Laden sur six colonnes « Justice est faite » (évidemment, je pense qu’on a tous dans cette salle le même avis sur Ben Laden…), je me dis que la société contemporaine a un grave problème culturel, au sens propre du terme. Quand un tel quotidien choisit cette une c'est qu'il existe une grave difficulté à penser le monde et je crois qu'il y a même régression. Mettre la culture au centre de notre politique, au centre du débat politique et cœur de l’action politique, et de tout projet politique, me paraît par conséquent fondamental. Deuxième idée : il est, selon moi, un couple indissociable auquel nous devons réfléchir, celui de la liberté de création et de l'appropriation sociale. Nous sommes dans un monde d’inégalités absolument démesurées dans tous les domaines. Ces inégalités sont en train de déchirer toute la société au plan mondial, mais aussi dans nos villes, dans nos quartiers, partout. Il faut à la fois un grand mouvement de liberté de création encouragé sans compromis – nous savons que c'est une bataille au sein de la gauche elle-même. Cela a été évoqué à propos de l’Observatoire de la liberté de création par Agnès Tricoire mais on pourrait citer d’autres exemples comme ceux des choix budgétaires en ce moment dans les collectivités territoriales, dont la situation se complique, et on voit bien que la tendance à sabrer, d’abord, dans les budgets de la culture revient au galop sous le prétexte des « contraintes ». C'est pourquoi, nous devons faire marcher de pair liberté de création, lutte contre la censure et appropriation sociale, sinon, la question du pouvoir dans la société (quelqu’un disait, fort à propos, « les savoirs et les pouvoirs ») ne se déplace pas. Or le pouvoir est la capacité à penser le monde autrement, à s’emparer du savoir, à s’enrichir de la culture… Il faut donc changer le pouvoir de camp et il ne s'agit pas uniquement d'une question institutionnelle mais aussi d'une question culturelle. Il est indispensable que les gens prennent le pouvoir. J’en ai souvent discuté avec Alain Hayot et Francis Parny (qui est dans la salle) comme vice-présidents à la culture dans leurs régions : défense intransigeante de la liberté de création et travail sur l’appropriation de la culture dans la société. On sait combien c’est difficile mais c'est le cap auquel il faut se tenir, à mon avis. Enfin, troisième idée, pas d’ambition publique sans moyens ! Ça me paraît fondamental. Je ne répète pas ce qui est dit dans le document sur le niveau d’ambition à avoir sur les moyens à allouer à la culture (1% du PIB) et qui concerne les outils de la politique publique et le besoin d'un service public de la culture, ni l'intervention, que je partage, de Vincent Krier sur le ministère de la Culture qui est sinistré par la RGPP. Il n’y a plus, dans notre pays, de moyens de politique publique et c'est devenu intenable. De plus, j’ajoute la question de l’entreprise. Nous l'envisageons toujours par le biais du privé, du sponsoring ou du mécénat, avec tous les problèmes que ça pose, mais il y a aussi l'enjeu des richesses créées par le travail et qui appartiennent aux travailleurs... Qu’est-ce qu’on fait de ces richesses ? On connu de grandes politiques culturelles avec les CE mais le reflux a été terrible ! Il y a donc aujourd’hui des enjeux au sein du monde du travail et je pense que c’est une bataille à reconduire dans des conditions différentes. Nous ne pouvons pas nous en désintéresser, cela fait partie de la lutte sur l’appropriation sociale ! Je disais en commençant qu’effectivement ce qui se passe ici ce soir me semble très important. Nous allons poursuivre la démarche du Front de Gauche, nous allons la faire aboutir en travaillant à égalité de tous les acteurs. Nous sommes en train de construire quelque chose de durable, j’en ai la profonde conviction. Ce qui a été engagé ce soir me semble au cœur de cette démarche et j'en appelle à son développement. La démarche du Front de Gauche ne s’épanouira que si elle produit ce type de rencontres et de débats. C’est primordial car ce n’est pas une démarche électorale. Nous allons affronter des échéances électorales, importantes, certes mais nous nous consacrons à une démarche de mise en mouvement populaire et citoyenne sans laquelle il ne peut y avoir de changement de politique durable dans ce pays. L’appropriation populaire des enjeux du changement a été jusqu'ici l'obstacle sur lequel nous finissions par buter. Est-ce que les gens de gauche, et plus généralement ceux qui ont envie d’inventer quelque chose, vont se faire marginaliser et éliminer dans la présidentialisation de la vie politique ? Ou bien y aura-t-il des forces – et ce peut être nous – capables de mettre en dynamique cette aspiration au changement, non comme un mouvement à la marge mais bien au sens large, comme on a pu le vivre avec le mouvement contre la réforme des retraites qui a mis la logique de la société en débat. Oui, il est indispensable que les gens s’emparent du débat politique et deviennent ceux qui donnent le « la ». Il nous faut ensemble changer le centre de gravité de la vie politique. Si nous y arrivons (et, j’ai parfaitement conscience de la difficulté mais je sais qu’il y a des forces pour le faire), si nous y arrivons , nous pourrons effectivement nous trouver dans une situation politique totalement différente. La Présidentielle, l’année 2012 n’est pas jouée. Je rencontre partout dans le pays des gens qui sont en réflexion sur comment s’y prendre. Envoyons des signaux politiques puisqu’on s’attèle à la tâche car si nous créons cet espoir-là, je pense que beaucoup de gens peuvent tenter de s’y engager, et là, peut-être serons-nous en mesure de changer énormément de choses »!

 

Il me semble nécessaire de réfléchir à ce qu'il faut transformer et, dans le même temps, de nous demander pourquoi nous butons dans la société. Alors qu’il y a tant de besoin de changement, pourquoi avons-nous l’impression parfois de buter contre des obstacles aussi forts ?

Il y a de la créativité dans notre pays, en tous les cas de la disponibilité qui m’apparaît très forte mais elle cohabite avec un sentiment d’impuissance. C'est cette créativité et disponibilité qu’il s’agit de libérer pleinement car nous ne sommes pas dans une société qui aurait renoncé ou qui serait à genoux.

Pierre Laurent Par Pierre Laurent

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