Je voudrais simplement dire, en rapport à ce que nous véhiculons nous-même, dans nos pratiques et notre conscience, depuis le temps que l’on se bat pour l’art et la culture : on a l’air de penser que l’art est par nature, par essence, révolutionnaire. Je ne pense pas que l’art et la culture soient, par nature, révolutionnaires. La culture de droite est à l’œuvre. C’est une culture du marché. On peut l’appeler religion si l’on veut, mais c’est une culture du marché ; et de l’individualisme, et de la consommation. Je pense qu’elle est à l’œuvre, et pas seulement dans le marché, qu’elle est aussi à l’œuvre dans le consensus de l’institution culturelle, dont je fais partie, et que ce consensus est comme le cinéma, soumis à une culture du chiffre. Il va bien falloir que l’on aborde ces questions-là, à un moment ou à l’autre, si l’on veut construire ensemble une autre conception de la culture, et une autre conception d’une politique pour l’art qui permette à l’art d’exister dans sa diversité, même quand effectivement le chiffre n’y est pas, et quand ça ne fait pas consensus. On parlait tout à l’heure d’Olivier Py. Effectivement, il y a aujourd’hui à travailler cette question de la légitimité. L’histoire de la politique culturelle française fait qu’il y a des arts légitimes, puis des formes qui ne sont pas tout à fait légitimes, et que l’on taxe volontiers de divertissement. Je voudrais dire simplement à la personne qui est intervenue là dessus, que dans l’art du théâtre selon Brecht le divertissement faisait partie de la création théâtrale. Et que divertir peut AUSSI ramener à la conscience, à la réflexion sur le monde qui nous entoure. Je voulais aussi évoquer, à côté de cette question du consensus dans l’institution, la question du consensus dans le marché. Par rapport à ce que disait Edgard [Garcia] tout à l’heure, qui rappelait comment on a étiqueté les « musiques actuelles » (moi je préfère parler des musiques d’aujourd’hui sous toutes leurs formes), je voudrais attirer votre attention sur un phénomène qui existe, qui n’est pas du tout rampant, mais auquel on ne réfléchit pas. Dans ce domaine des musiques actuelles, un géant comme Live Nation, qui possède des réseaux de billetterie, internet et téléphonie, qui possède des espaces de publicité. Livea Nation est en train de racheter des maisons de production, des salles, notamment à Paris. Je pense que cela va se généraliser. Ils signent avec des artistes des contrats dits « à 360 ° », c’est à dire grosso modo, pire que ce que dénonçait Jean Ferrat il y des années, contrats qui lient les artistes sur absolument toute leur production, y compris le merchandising, l’image, le disque, tout ce qu’ils peuvent faire, sur Internet et ailleurs. Possédant tout ce qui relève du marché, ils ne vont pas se cantonner aux musiques, mais peuvent mettre la main sur tout le spectacle vivant, dramatiquement, et à mon avis très vite, sur une décennie sans doute. Comme dans le cinéma, le fait pour la chanson d’être adossé à une industrie culturelle va soumettre des formes de création à la menace de disparition. Cela peut s’étendre à d’autres esthétiques du spectacle vivant, et aussi au secteur public.
Je ne pense pas que l’art et la culture soient, par nature, révolutionnaires. La culture de droite est à l’œuvre. C’est une culture du marché. On peut l’appeler religion si l’on veut, mais c’est une culture du marché ; et de l’individualisme, et de la consommation. Je pense qu’elle est à l’œuvre, et pas seulement dans le marché, qu’elle est aussi à l’œuvre dans le consensus de l’institution culturelle, dont je fais partie, et que ce consensus est comme le cinéma, soumis à une culture du chiffre.