Collectif culture du PCF

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Zmorda Chkimi, metteuse en scène, avec le concours de Euryale Collet-Barquero, auteure

 
 
 
 

Le rêve pouvait être le commun des hommes

Je suis une artiste tunisienne vivant en France et je n’ai donc pas fait la révolution, mais je suis fière de mon pays. De sa capacité à dire non et à regarder sa liberté dans les yeux. Je vous parlerai donc en tant que citoyenne d’ici et d’ailleurs et en tant qu’artiste. Je vous parlerai aussi comme héritière de l’histoire, ou plutôt des histoires. Parce qu’il est bon, parfois, de se promener dans le passé pour préparer l’avenir et d’aller voir ailleurs pour nourrir notre ici. Je voudrais donc vous parler d’une autre époque, dans un autre pays, lorsque certains ont créé des missionnaires laïques de la culture.

Le but était de républicaniser la société. Un drôle de mot. Un beau mot. Ils ont eu l’impudence de vouloir démocratiser la culture et rénover l’éducation. Juste parce qu’ils avaient la conviction que la culture provoque la curiosité et la compréhension. Que, pour eux, la formation du citoyen était indis-pensable. Que la connaissance du progrès, des arts et de la culture 
devait être le socle d’une société libre et démocratique. Et que ce socle était aussi celui de la république. Oui, ils pensaient ça. De drôles d’oiseaux, en vérité. Jean Vilar les aurait adorés. Ils étaient en mission. Ils voulaient. Vouloir. C’est quelque chose. Ce n’est pas un mot creux. Pour eux, c’était un rêve en marche. Ils voulaient abattre les frontières. Les frontières ? Oui. Entre les villes et les villages, d’abord. Cela rappelle une certaine décentralisation. Parce qu’ils avaient une conscience aiguë de la réalité de leur pays. Qu’ils savaient que l’accès à l’ouverture n’est pas la même selon l’endroit où l’on vit. Alors ils ont trouvé l’itinérance comme solution. Aller vers. Aller près. Trouver la proximité et l’intimité qui font germer la discussion et l’appétit. Ils ont voulu aussi faire connaître tous les arts sans distinction. Tous les arts ? En itinérance ? Eh oui, ils n’ont pas abandonné certains domaines à l’adversaire. Ils ont pris les livres, le patrimoine, les musées avec autant d’enthousiasme que le théâtre, le cinéma, les arts plastiques et le reste. Ils ont refusé de segmenter les domaines culturels. Et tout cela a pu être réel parce que l’État se cachait derrière. Le bon dosage entre volonté politique, moyens humains et matériels. À peu près tout ce qui nous manque en ce moment.

Pourtant, leur combat n’était pas d’abattre le divertissement. Non. La gauche n’a pas les mêmes armes que la droite. Leur combat était de créer l’espace à autre chose. Un espace qui permet de créer dignement et pleinement. C’était un beau combat. Ceux qui ont fait ça, ce sont les Miguel Hernandez, Rafael Alberti ou Garcia Lorca ; la génération de 27 ou de 1898, et bien d’autres. C’est un projet né avec la seconde République espagnole. C’est un projet que l’on appelait les « missions pédagogiques » et qui a pris fin lorsque la guerre civile espagnole a commencé, en 1936. Ils ont osé agir contre ce qu’ils appelaient « la force brutale », celle qui criait « Vive la mort » ou « À bas l’intelligence », et devenir, comme le dit Garcia Lorca, des « missionnaires pathologiques », pour lutter contre elle.

Alors, si actuellement il est de bon ton de dire que la qualité n’est pas populaire, que l’élitisme est désormais à gauche, il ne faut pas oublier que c’est un classique dans l’histoire des idées. Une simple résurgence. Peut-être une confusion, si on veut être naïf, entre élitaire et élitiste. Mais, lorsque ma mémoire entend ces discours, elle me répète que la gauche est capable de devenir guerrière de ses valeurs et qu’elle peut rougir un peu plus lorsqu’on attaque ses fondamentaux.

Quand on met en danger nos écoles, nos bibliothèques, Internet, nos institutions culturelles, nos actions territoriales avec le retrait financier de l’État, on met en danger la liberté de penser.

Je fais du théâtre politique. Je ne veux pas que cela soit une obligation, je veux juste pouvoir continuer à le faire. Je me bats dans mon quotidien d’artiste pour abattre les frontières entre les arts. Je crois aux croisements et à l’échange. Mon expérience n’a fait que confirmer un pressentiment que j’avais. J’ai vu la preuve dans les yeux des gens que la poésie était universelle. Garcia Lorca avait raison en disant : « Le théâtre, c’est la poésie qui sort des livres pour descendre dans la rue. »

J’ai entrevu aussi que le rêve pouvait être le commun des hommes. Les actions que j’ai menées dans les villes et les structures sociales m’ont convaincue de la nécessité absolue de faire en sorte que les gens se sentent légitimes à accéder à l’art. Car l’art est capable de valoriser, soutenir, épanouir, émouvoir, aider ou sublimer. Pour moi, l’art mérite plus que d’appartenir à une caste, il est trop précieux pour le laisser à une minorité qui l’associe à un pouvoir. Il est à mon sens vital pour que la société progresse avec égalité et tolérance. Mon pays me prouve que l’audace peut libérer, l’histoire des peuples me le confirme.

Alors, si j’avais une dernière faveur, ce serait au nom de mon statut de femme artiste. J’aimerais que le regard féminin puisse se poser plus souvent dans nos institutions, structures et autres lieux culturels. L’égalité passe par là aussi, je le crois.

 

Je fais du théâtre politique. Je ne veux pas que cela soit une obligation, je veux juste pouvoir continuer à le faire. Je me bats dans mon quotidien d’artiste pour abattre les frontières entre les arts. Je crois aux croisements et à l’échange. Mon expérience n’a fait que confirmer un pressentiment que j’avais. J’ai vu la preuve dans les yeux des gens que la poésie était universelle. Garcia Lorca avait raison en disant : « Le théâtre, c’est la poésie qui sort des livres pour descendre dans la rue. »