Collectif culture du PCF

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Mariana Otero, cinéaste, coprésidente de l’ACID

 
 
 
 

La démocratie culturelle, ce n’est pas le nombre

À travers les films, les réalisateurs proposent une représentation du monde. Pas seulement par le sujet, mais aussi par la forme. Et dans cette représentation, on interroge le monde et, du coup, on propose, on explore d’autres fonctionnements possibles.

Dans cette représentation, l’artiste met en jeu à la fois une vision propre à son époque – un artiste n’est jamais dégagé de son époque –, mais aussi un regard singulier. C’est son travail, il y passe chaque jour de sa vie.

Aujourd’hui, dans le cinéma, cette représentation est prise dans les seuls rapports marchands. Elle n’est pensée qu’en fonction du bénéfice que l’œuvre pourra faire lors de sa diffusion ; qu’en fonction du nombre de spectateurs, et non en fonction de la richesse intrinsèque. Le couperet du mercredi, la dictature de l’Audimat et du chiffre sont devenus la règle d’un jeu piégé. Que se passe-t-il quand une œuvre ne peut exister que si elle est accompagnée, pour faire du chiffre, de marketing, de campagnes publicitaires qui finissent par coûter maintenant plus cher que la production elle-même ? Cela a des incidences sur l’artistique. Il y a une raréfaction des représentations, des écritures. Elles sont dirigées, orientées par une poignée de décideurs qui jugent d’une œuvre non pas en fonction de sa richesse, mais en fonction de son potentiel de spectateurs. Or, on sait que des œuvres originales au départ ne plairont pas forcément au plus grand nombre parce que, justement, elles remettent en question notre représentation du monde.

La politique culturelle doit penser cette difficulté. La démocratie, en matière culturelle, ne se calcule pas au nombre de spectateurs. Une politique culturelle de gauche, cela ne veut pas dire de faire de l’art pour le plus grand nombre, mais de donner à tous accès à l’art. Une politique culturelle doit permettre aux œuvres différentes d’accéder à tous et non pas exiger des réalisateurs des formes et des récits qui pourraient plaire au plus grand nombre.

Or, de plus en plus souvent, que ce soit à la télévision ou chez les diffuseurs, on rétorque aux réalisateurs qui présentent leurs projets que cela ne fera pas assez d’Audimat, pas assez de spectateurs. Qu’il ne faut pas être élitiste… La dictature du chiffre irrigue le rapport des spectateurs et des médias aux films, aux livres. Il faut affirmer que la qualité d’une œuvre ne se mesure pas au nombre de spectateurs ou de lecteurs, qu’il faut de la recherche en art, de la découverte, de la marge pour que tienne la page…

Dans la pratique, cela implique des engagements vrais, courageux, comme renforcer le rôle du CNC dans le soutien à la production et à la diffusion d’œuvres indépendantes du marché. Or, de plus en plus le CNC accompagne l’industrie (il suffit de se référer à l’étude de Lalevée et Hartmann, parue en 2006, qui montre combien, dans les faits, les visées industrielles ont largement pris le pas au CNC sur la préoccupation culturelle). Une des premières mesures pourrait être de limiter le nombre d’écrans par film (le film Rien à déclarer a occupé 1 036 écrans sur les 5 000 lors de sa sortie). Ou encore rétablir, par un système d’aides, une égalité dans la diffusion des œuvres. Affirmer un soutien plus fort aux collectivités, aux exploitants, aux distributeurs, aux réalisateurs qui accompagnent leurs films partout en France sans jamais être payés. Pourquoi ne pas créer un fonds d’action culturelle pour cela ? Il pourrait être alimenté par la « taxe confiserie » : les films sont devenus des produits d’appel pour vendre de la confiserie, il n’y a aucune raison que ce commerce-là ne profite pas à la création. Il s’agirait aussi de stopper les pratiques mafieuses, comme cette règle qui oblige les petites salles à acheter les bandes-annonces aux distributeurs, pendant que les distributeurs, au contraire, doivent acheter dans les circuits l’espace pour leur bande-annonce – c’est l’illustration parfaite de la loi du plus fort –, et de rétablir des règles comme, par exemple, une obligation de contrat entre les distributeurs et les salles. Cela éviterait toute dérive marchande et autres. Toute la politique culturelle aujourd’hui est pensée en fonction du chiffre. On demande des résultats chiffrés, de la quantité, au lieu de la qualité. Penser la culture, c’est se débarrasser de la culture du chiffre.

En ce qui concerne la télévision, la tâche est grande mais pas impossible. Il faut repenser totalement la télévision, son but, son rôle et son fonctionnement interne ; son rôle à la fois comme outil éducatif et comme lieu de recherche social et culturel ; son rôle pour que puissent s’y exprimer toute la diversité sociale et la diversité d’écriture, et repenser son fonctionnement sur un mode démocratique, avec des « commissions » de citoyens (comme au CNC) qui changent régulièrement, au lieu de fonctionnaires en poste depuis des années dont la survie du poste dépend de l’Audimat.