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Hanifa Taguelmint. « Seuls des actes politiques forts peuvent continuer à les faire vivre »

le 19 février 2015

Hanifa Taguelmint. « Seuls des actes politiques forts peuvent continuer à les faire vivre »

La militante de « Mémoires en marche anime », avec ses camarades, des débats passionnés avec les jeunes. Samedi, soirée à l’Alhambra en hommage à Zahir Boudjellal et Ibrahim Ali.

Hanifa Taguelmint est Vice-Présidente de Mémoires en marche, association co-organisatrice de la semaine antiraciste et antifasciste autour de l’assassinat d’Ibrahim Ali, il y a 20 ans. Samedi, le film Français d’origine contrôlée, suivi d’un débat, sera projeté à l’Alhambra (17h30) en hommage à son frère, Zahir Boudjellal, lui aussi assassiné, et Ibrahim Ali. La militante répond à nos questions.

La Marseillaise. Plus de 30 ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme, comment expliquez-vous qu’on parle encore de l’immigration comme un problème ?

Hanifa Taguelmint. Il y a 30 ans nous n’étions pas un problème, nous étions une des solutions dont la République n’a pas voulu.

La Marseillaise. Les jeunes des quartiers populaires sont stigmatisés, renvoyés dans la case musulmane, que répondez-vous à ces discours de la classe dirigeante ?

Hanifa Taguelmint. Pour moi, ce sont des choix politiques qui nous ont conduits à l’entre nous. La première communautarisation est physique, c’est celle du logement. Aux États-Unis, on a créé des réserves pour les indiens, ici on a créé des ghettos urbains.

La Marseillaise. La lepénisation des esprits a gagné du terrain, pensez-vous qu’elle puisse reculer voire disparaître ?

Hanifa Taguelmint. Disparaître ? Non, jamais, parce qu’il existera toujours une marge de la population qui a besoin de la haine de l’autre, d’un bouc émissaire. Aujourd’hui, la lepénisation des esprits vient de la désinformation médiatique. Chaque événement national ou international est monté en épingle. Le monde est connecté : ce qui se passe dans un village en Libye a des répercussions à la Castellane ou la Savine, de même avec Daesh. Le choix des mots, des images renvoie à la stigmatisation des habitants et, même, pire, à devoir s’excuser alors qu’ils ne sont ni responsables ni coupables de ce qui se passe là-bas. Le recul de cette lepénisation des esprits passe par des choix politiques et socio-économiques. Pendant qu’on parle d’immigration, on ne parle pas des problèmes qui touchent les gens : emploi, logement, formation professionnelle et projets collectifs : ce qu’on veut faire tous ensemble dans ce pays, ici et maintenant.

La Marseillaise. Le racisme tue, l’idéologie fascisante aussi. A Marseille, il y a eu Houari Ben Mohamed, Zahir Boudjellal, Ibrahim Ali, à quand une société qui accepte enfin sa jeunesse ?

Hanifa Taguelmint. Aujourd’hui, on rejette la jeunesse dans ce pays qui est une richesse fondamentale. Quand on a des étudiants qui se prostituent, qui ne mangent pas le midi ou sont obligés de travailler, est-ce que c’est normal dans un pays riche  ? Quand un jeune a raté son bac, on a l’impression qu’il a raté sa vie, est-ce que c’est normal ? On a des politiques qui sont trop vieux pour comprendre les jeunes, ils ont oublié qu’ils l’ont été un jour. Les têtes pensantes dans l’économie et la politique n’aiment pas les jeunes, sauf leurs propres enfants.

La Marseillaise. Comment faire vivre les valeurs d’égalité, de solidarité et de justice sociale  ?

Hanifa Taguelmint. On ne fait pas vivre des valeurs, ce sont les gens qui les portent. Moi, personnellement, je ne dois rien à la République, c’est elle qui me doit la liberté, l’égalité, la fraternité, je les attends toujours.

La Marseillaise. Vous évoquez à travers Mémoires en marche l’importance de l’éducation populaire auprès des jeunes, pourquoi est-ce si important de transmettre ce que l’on sait ?

Hanifa Taguelmint. Seules la culture et l’éducation nous sortiront de cette merde. Quand on ramènera de la culture dans nos quartiers pour que les enfants s’ouvrent et fassent d’autres rencontres, on les aidera à grandir, c’est là notre rôle d’adultes. Les éducateurs sont épuisés, les profs désabusés, que reste-t-il ? Les parents a qui on n’a pas donné les moyens intellectuels ni financiers. Ici, on a l’impression d’avoir vécu 100 vies, il faut être mère, grande sœur, on passe notre temps à aider, à colmater mais au bout d’un moment, on a envie de s’asseoir et de pleurer. Avec Mémoires en marche, je retrouve de l’énergie, de l’envie de faire et de transmettre. On intervient dans les lycées. C’est important de dire aux jeunes : vous avez des problèmes aujourd’hui, nous on en a eu hier et voilà comment on a lutté, qu’ils profitent de nos expériences de militants.

La Marseillaise. Le film, samedi, est projeté en hommage à Zahir Boudjellal et Ibrahim Ali, assassinés…

Hanifa Taguelmint. On a une obligation de transmission. J’ai perdu mon frère, Zahir, il y a 33 ans. Je n’ai jamais trouvé la force de lui rendre hommage. Il ne faut pas qu’il y en ait d’autres. On peut faire les plus belles marches blanches pour les morts, ils ne reviendront pas. La douleur des familles ne s’estompe pas, ils sont morts assassinés. Ce sont des actes politiques forts qui peuvent les faire vivre encore et pour toujours.

Interview réalisé par Piédad Belmonte (La Marseillaise, le 19 février 2015)

Roquefort-la-Bédoule. Les Réquisitions de Marseille

le 17 février 2015

Cercle Républicain des Travailleurs
2, avenue Pacifique Rovali
Roquefort-la-Bédoule

Vendredi 20 février à 18h30

Le Carrefour Citoyen et Provence Mémoire Monde Ouvrier vous invitent à la projection du Film de Sébastien Jousse et Luc Joulé.

En septembre-octobre 1944, Raymond Aubrac, commissaire de la République, décide la réquisition de 15 entreprises marseillaise dont « Les Aciéries du Nord ». L’intervention des salariés et des syndicats ouvriers dans la vie de l’usine par le biais du comité consultatif de gestion conduisent alors la CGT et le Parti Communiste à parler d’une gestion ouvrière qui a été sociale, efficace mais hélas provisoire

Anniversaire. Une avenue pour Ibrahim Ali

le 17 février 2015

Anniversaire. Une avenue pour Ibrahim Ali

Vingt ans que la vie du jeune marseillais a été fauchée par les balles du FN. Et toujours pas de « place ».

« Ni oubli, ni silence, ni pardon », cette année, l’assassinat du jeune marseillais Ibrahim Ali, il y a 20 ans, par un colleur d’affiches du FN revêt un caractère urgent avec l’ancrage des idées d’extrême droite dans le pays et, particulièrement, dans la cité phocéenne où ce parti s’est emparé de la Mairie des 13-14.

C’est en résumé ce qu’ont dit les organisations ( Ligue des droits de l’Homme, Conseil représentatif des associations noires, Action antifasciste, Mémoires en marche, Collectif nosotros, Marseille Egalité, Sound musical school B.Vice) qui luttent contre le racisme et le fascisme réunies, hier, au Molotov, pour annoncer la semaine anniversaire en hommage à Ibrahim Ali. « En 20 ans, il s’en est passé des choses. Nous avons essayé de dire que le FN n’est pas un parti comme les autres, que son idéologie peut conduire à des crimes odieux. Ça fait 20 ans que nous crions dans le vide, 20 ans qu’on ne nous entend pas ! », dénonce Haidari Nassurdine (Cran).

« Toujours en résistance »

D’où, cet appel d’associations unies, en 2015, « pour entretenir son souvenir et rappeler qu’un parti fasciste grandit à cause de notre indifférence et attentisme  ». Vingt ans, cela peut paraître long, mais pour ces militants humanistes antiracistes, « c’était hier ».

« Nous sommes toujours en résistance », affirme Mohamed Soly Mbaé (Sound musical school B. Vice) en se tournant vers ses camarades de longue lutte contre le FN. Philippe Dieudonné (LDH13) rappelle l’âpre bataille de son association pour l’égalité des droits et déplore que l’exigence d’une rue baptisée au nom d’Ibrahim Ali reste insatisfaite dans un contexte d’« inégalités territoriales terribles entre riches et pauvres, facteurs de racisme ». André Bigo (LDH) se souvient que c’est l’assassinat d’Ibrahim Ali qui l’a poussé à s’engager pour que « sa mort ne soit pas inutile ». Et, à l’issue du procès (1998), « les parties civiles ont obtenu la qualification de crime raciste et la désignation du FN comme le protagoniste de cette ignominie ». André Bigo rejette les dérives électoralistes du PS et de la droite au détriment des quartiers et du vivre ensemble ainsi que des politiques de la ville qui n’ont rien changé.

Zohra Boukenouche (Mémoires en marche) ne peut que tirer un bilan négatif plus de 30 ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme. « Les crimes continuent. Des solutions auraient dû être apportées après la marche, mais la situation a empiré. Les jeunes sont toujours stigmatisés et maintenant assignés à une religion, inacceptable dans un pays qui nous parle de laïcité  ! Que fait-on ? Où va-t-on  ? La seule façon de répondre est de transmettre aux jeunes l’histoire des luttes de toutes les immigrations ». Les militants rassemblés autour de la table bataillent pour que la mairie, les responsables politiques et les élus daignent enfin reconnaître sa place(*) à un jeune marseillais tombé sous les balles haineuses d’un parti qui n’a jamais changé d’idéologie mais dont on a fait en sorte de banaliser son fond politique. « Le combat contre les idées du FN est un enjeu sociétal. Comment aujourd’hui, on construit une société ensemble  », lance comme une invitation Haidari Nassurdine.

La réponse la plus immédiate est à portée de main, samedi à 14h, « les frères et sœurs en humanité » se retrouveront au 4 chemin des Aygalades (15e) où les balles assassines ont soufflé ses 17 printemps au jeune comédien Ibrahim Ali.

Piédad Belmonte (La Marseillaise, le 17 février 2015)

(*) Pétition à signer sur change.org

« 20 ans après, on n’oublie pas, on ne pardonne pas »

Demain matin, les militants associatifs se rendent auprès des collégiens d’une classe de 3e à Anatole France pour évoquer à travers le crime raciste contre Ibrahim Ali toutes les formes de discriminations, de xénophobie, et la lutte contre les inégalités sociales. Des inégalités qui alimentent le rejet des autres et surtout des plus pauvres. Ce jeudi à 19h, le cinéma les Variétés projette, en association avec le collectif Nosotros, le documentaire Acta Non Verba d’Hazem.

Ce film dresse un panorama du renouveau du combat antifasciste à travers les luttes sociales depuis Moscou, jusqu’à Turin en passant par Hambourg et la France. Vendredi : opération photos pour une avenue Ibrahim Ali. Samedi, à 17h30 à l’Alhambra, Mémoires en marche propose la projection de Français d’origine contrôlée, un film de Mustapha kessous et Jean-Thomas Ceccaldi. M. Kessous participera au débat. Une soirée dédiée à Zahir Boudjellal et Ibrahim Ali. Réservation : 04 91 03 84 66. Paf : 8 euros avec le repas. Cécile, éducatrice dans les quartiers Nord depuis 9 ans, évoque un travail de mémoire à travers l’écriture au sein d’ateliers avec une quinzaine de jeunes. Un texte sera lu le jour du rassemblement à la Savine. Le Collectif Nosotros participe également à la campagne d’affichage : « Ni oubli, ni pardon. Le 21/02/1995 Ibrahim Ali était assassiné par la haine raciste des colleurs du FN. Il avait 17 ans ». Les militants entendent construire leurs actions dans la durée avec la création d’un documentaire à partir de témoignages des amis d’Ibrahim Ali et de la mobilisation du milieu Hip-Hop.

La Marseillaise, le 17 février 2015

Les paysannes et la guerre de 14

le 15 février 2015

Les paysannes et la guerre de 14

Entre le 2 et le 18 août, sur 39 millions d’habitants, 3.700.000 hommes sont mobilisés, ce qui vide les campagnes et les usines. L’économie se trouve brutalement désorganisée.

Le 6 août, une proclamation « aux femmes de France » est publiée : « A l’appel de la Patrie, vos pères, vos fils et vos maris se sont levés et demain ils auront relevé le défi. Le départ pour l’armée de tous ceux qui peuvent porter les armes laisse les travaux des champs interrompus, la moisson est inachevée, le temps des vendanges est proche. »

L’appel signé René Viviani, Président du Conseil, s’achève martialement : « Debout donc, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la Patrie. Remplacez sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille : préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n’y a pas dans ces heures graves de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout, à l’action, au labeur ! Il y aura demain de la gloire pour tout le monde ».

La France est alors largement agricole et deux millions de paysans sont mobilisés. Dans les campagnes, les femmes vont devoir se remonter les manches pour s’occuper des animaux, des récoltes et assurer le ravitaillement de la population et des soldats.

Devenues brutalement chefs d’exploitation, aux travaux quotidiens qu’elles accomplissent traditionnellement dans une ferme, elles doivent ajouter ceux exécutés habituellement par les hommes : conduire les bêtes de trait, labourer, couper le bois…

Avec la peur de perdre un être cher, fils, mari ou père et parfois des difficultés financières, elles se retrouvent seules pour accomplir les tâches autrefois partagées. En outre a eu lieu la réquisition des animaux, force indispensable aux travaux des champs et au transport des récoltes.

Les chevaux, mulets, ânes et bœufs ont été réquisitionnés, mais également les harnais et les charrettes, comme seront réquisitionnés du foin, de l’avoine, du blé et du bétail pour nourrir l’armée.

Elles sont aidées par les enfants et les hommes non-mobilisés : réformés ou trop âgés. Sont mobilisés les hommes de 20 à 48 ans, mais n’oublions pas qu’au début du 20e siècle, l’espérance de vie en France n’est que de 45 ans pour un homme.

L’absence de bête de somme oblige à faire manuellement certains travaux : faucher, râteler… Il y a même des cas où des femmes tirent une charrue ou une herse à plusieurs.

Après le départ de ses frères, Émilie Carles, qui devait rejoindre l’École Normale, se retrouve à 16 ans à diriger une exploitation. Son père est âgé, il y a une petite sœur et un bébé, sa nièce orpheline. Elle raconte : « Je me suis attelée à la tâche. Je suis devenue une paysanne à part entière. Avec mon père et la petite Rose-Marie nous faisions au mieux de nos possibilités. Il n’y avait pas que nous qui avions des difficultés, toutes les familles étaient touchées par la guerre. Les mulets avaient été réquisitionnés par l’armée, ce qui fait que labourer ou charrier posait chaque fois des problèmes, il fallait se débrouiller avec les quelques rosses qui restaient. Ces bêtes-là étaient de vieilles peaux dont l’armée n’avait pas voulu, elles étaient difficiles à conduire et il fallait les emprunter. Ça faisait toujours des histoires à n’en plus finir.

« La seule chose qui comptait c’était le travail »

Avant de s’en aller Joseph m’avait appris à labourer. Le plus dur n’était pas tant de se débrouiller avec un mulet ou un attelage de vaches, que de tenir le manche de la charrue. Je n’étais pas grande… Je me souviens, nous avions une charrue toute simple, un araire, avec un manche fait pour un homme. Pour moi il était bien trop haut. Quand je faisais les sillons avec cet engin, chaque fois que j’accrochais une pierre je recevais le manche dans la poitrine ou dans le visage. Pour moi, labourer était un véritable calvaire. Un jour, le coup fut si fort que j’ai lâché la charrue et laissé filer l’attelage. Sur le moment j’étais à moitié assommée. (…)

Les mois se sont succédé ainsi. Je n’avais aucune notion du temps, une année aurait pu être un jour ou dix mille ans, c’était pareil. La seule chose qui comptait c’était le travail et la fatigue, la fatigue et le travail, jusqu’à l’épuisement. Je n’avais guère le temps de penser à moi, ni même de penser tout court »(1).

Pour un médecin gascon, « Combien de tâches où la violence de l’effort est nécessaire et la surprise des brutales secousses inévitable. Voyez la paysanne accrochée à la charrue, sur ce guéret aux mottes grasses et dures, où chaque pas lui fait perdre l’équilibre. Voyez-la tressautant sur la selle étroite de la faucheuse, ou d’une main saisissant par la corne une vache qui fuit pour la soumettre au joug qu’elle tient de l’autre, ou suspendue aux ridelles de la charrette pour retenir le chargement qui penche à la traversée d’un ruisseau »(2).

Au cours de la guerre, la production agricole va baisser. L’absence des bras des hommes se fait sentir, comme la mobilisation de ceux qui concourent à la production : maréchaux-ferrants, forgerons, charrons ou bourreliers et la réquisition des animaux de trait. Et, on l’oublie souvent, l’affaiblissement des corps dû au surmenage, à l’épuisement et aux restrictions alimentaires. Les gros travaux, les moissons, le battage, les foins, les vendanges, la récolte des pommes de terre, la taille des vignes… durent plus longtemps par manque de main d’œuvre.

Le pire arrive en 1917. L’hiver a été exceptionnellement froid et les récoltes sont les plus maigres depuis 1840. La disette menace le pays. La spéculation bat des records et les prix s’envolent.

Raymond Bizot (La Marseillaise, le 15 février 2015)

(1) E. Carles, Une soupe aux herbes sauvages, 1977
(2) E. Labat, L’âme paysanne, 1919 Récit

Aimé Césaire prend ses quartiers dans le 14e arr. de Marseille

le 14 février 2015

Aimé Césaire prend ses quartiers dans le 14e arr. de Marseille

Le nom du poète et homme politique à l’origine du concept de négritude a été donné à une rue de Marseille hier en présence de la Ministre des Outre-Mer dans un secteur dirigé par le FN.

Plus qu’un hommage, un symbole. Une rue de Marseille a pris hier le nom d’Aimé Césaire, poète à l’origine du concept de négritude qui fut Député-Maire communiste de Fort-de-France à la Libération avant de fonder le Parti progressiste martiniquais. Dans un secteur dirigé par un Maire FN, la décision prise avant la dernière municipale prend une dimension particulière.

La veille, en Conseil d’arrondissements, Stéphane Ravier s’interrogeait à voix haute sur sa participation à une cérémonie en mémoire d’un « anti-colonialiste qui a été toute sa vie été élu chez le colonisateur » et dont « l’action [politique] a été de dénigrer l’Œuvre accomplie par la France ». Finalement là à l’arrivée de la Ministre des Outre-Mer, George Pau-Langevin, le Sénateur-Maire de secteur assiste à l’inauguration, convaincu qu’il lui en coûterait plus d’être absent que présent.

« Nous ne nous laisserons pas mithridatiser dans les 13-14 »

Pas de quoi faire varier les discours d’hommage à Aimé Césaire dont l’œuvre et la vie s’opposent en tous points aux thèses du FN. Pierre Lézeau, directeur du comité Mam’Ega à l’initiative avec le  collectif centenaire Aimé Césaire de la mobilisation pour l’attribution de son nom à une rue de Marseille, affirme dans son discours : « Nous ne nous laisserons pas mithridatiser dans les 13-14. Nous ne nous habituerons pas au poison de l’intolérance, du racisme de la stigmatisation. Nous allons nous battre avec les armes que nous a laissées Aimé Césaire ».

Les bras ostensiblement croisés quand les autres élus applaudissent l’orateur, le Maire lepéniste encaisse sans ciller.

Dominique Tian, Député et Premier Adjoint UMP de Jean-Claude Gaudin, salue ensuite au nom de la municipalité la mémoire du poète. « La République a inscrit son nom au Panthéon, la Ville de Marseille lui donne une rue », se réjouit-il avant de le citer : « C’est quoi une vie d’homme ? C’est le combat de l’ombre et de la lumière… C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté. »

Prenant à son tour la parole, George Pau-Langevin, Ministre des Outre-Mer, affirme « qu’Aimé Césaire a changé le regard de la France sur les Antilles, sur l’Afrique, sur les Noirs. Il a permis aux Antillais de se découvrir eux-mêmes. Il a permis à tous les Français de tourner vers eux-mêmes leur regard. »

Rappelant les études brillantes d’Aimé Césaire, celle qui fut dans le précédent gouvernement, Ministre déléguée à la réussite éducative, martèle : « Aujourd’hui encore l’école demeure la façon la plus efficiente de se sortir d’un destin préécrit ».

George Pau-Langevin, qui a connu Aimé Césaire de son vivant, se souvient : « C’était un homme intransigeant sur le plan des idées, un homme bienveillant, généreux et altruiste. »

« La négritude était la reconnaissance d’une singularité, d’une expérience, d’une culture. Elle ne fut jamais une revendication communautariste. Aimé Césaire ne fut jamais l’homme d’une souffrance contre une autre. Il parlait d’une même voix universelle pour tous les damnés de la terre, pour tous ceux que l’Histoire avait frappés de ses poings. »

À l’issue des discours officiels, les élèves de l’école Saint-Mitre et du collège Clair-Soleil ont lu des poèmes du grand homme et dansé au son des percussions antillaises. De quoi dissiper la grisaille de février et faire reculer un bref moment l’ombre brune qui s’étend sur le secteur.

Léo Purguette (La Marseillaise, le 14 février 2015)

Nègre fondamental et homme universel

Aimé Césaire aurait eu 102 ans cette année. Enfant d’une famille nombreuse, il naît à Basse-Pointe en Martinique d’une mère couturière et d’un père petit fonctionnaire. Brillant élève du lycée Schœlcher de Fort-de-France, il est envoyé à Paris en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand où il se lie d’amitié notamment avec Léopold Sédar Senghor. Progressivement, il y prend conscience du système colonial et avec d’autres étudiants Antillo-Guyanais et Africains, il fonde en 1934 la revue l’Étudiant noir. C’est dans ses colonnes qu’apparaît pour la première fois le terme de « négritude », concept forgé par Aimé Césaire. Synonyme de refus du colonialisme et d’une vision de l’universalisme réduite à la conception que l’Occident a de lui-même, la négritude, en rendant leur dignité aux peuples noirs, s’adresse au-delà à tous les exploités de la planète. « Je suis de la race de ceux qu’on opprime », affirme ainsi Aimé Césaire.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fonde la revue Tropiques et se rapproche de la France libre. André Breton, le chef de file des surréalistes, de passage en Martinique en 1941 le surnomme « nègre fondamental ».

Âgé de 32 ans, il est élu Député-Maire communiste de Fort-de-France à la Libération. Rapporteur de la loi de départementalisation de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion, Aimé Césaire permet aux habitants de l’Outre-Mer d’être enfin traités à égalité avec les métropolitains.

Il rompt en 1956 avec le PCF, dans une lettre à Maurice Thorez où il fustige l’invasion soviétique en Hongrie. Deux ans plus tard, il fonde le Parti progressiste martiniquais avec pour ambition d’instaurer un « type de communisme martiniquais plus résolu et plus responsable dans la pensée et dans l’action ». Député jusqu’en 1993, Maire jusqu’en 2001, il poursuit parallèlement son oeuvre poétique et théâtrale. Une œuvre universelle et humaniste. « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes panthères/Je serai un homme-juif/Un homme-cafre/Un homme-hindou-de-Calcultta/Un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas/L’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture/on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer/ de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir/ de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne/un homme-juif/un homme-pogrom/un chiot/un mendigot », écrit-il ainsi dans ses Cahiers d'un retour au pays natal.

Verbatim

George Pau-Langevin, Ministre des Outre-Mer. « Aimé Césaire restera dans le monde des vivants tant que la force libératrice de ses écrits nous permettra d’avancer ensemble. »

La Marseillaise, le 14 février 2015

A propos de la rue du 19 mars 1962 à Béziers. Communiqué de l'ANPNPA

le 12 février 2015

A propos de la rue du 19 mars 1962 à Béziers. Communiqué de l'ANPNPA

Il existe encore à Béziers, comme en des milliers d’autres lieux en France, une rue du 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie. Que crimes et violences aient continué après cette date, d’un coté comme de l’autre, avec notamment la folie meurtrière de l’OAS qui s’est alors déchainée, n’enlève rien au fait que le 19 mars demeure la date symbolique qui marque la fin de la guerre d’Algérie.

La municipalité d’extrême droite Front National de Béziers a décidé de débaptiser la rue du 19 mars 1962 pour la renommer rue du commandant Hélie Denoix de Saint Marc. Qui est donc cet officier ? L’historien Gilles Manceron en a récemment dressé le portrait, et a décrit le rôle qui fut le sien pendant les guerres coloniales(1). Alors qu’il commandait en Algérie le 1er REP (légionnaires parachutistes), Denoix de Saint Marc s’est illustré en rejoignant avec son régiment le putsch d’avril 1961. Arrêté après l’échec du putsch, il est jugé, condamné à dix ans de réclusion criminelle, et emprisonné avec les chefs de l’OAS.

L’Association des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA) dénonce la décision inacceptable de la mairie de Béziers, cette insulte à l’histoire, cette provocation d’extrême droite qui entend remplacer un symbole de paix, le cessez-le-feu, par un symbole de guerre, un officier putschiste.

Robert Ménard, le maire de Béziers soutenu par le Front national, annonce pour le 14 mars la cérémonie du re-baptême de la rue, en conviant à cette manifestation diverses associations, qui elles aussi ne sont que haine et revanche. L’ANPNPA appelle à se rassembler contre cette manifestation honteuse. Elle prendra toute sa part dans la mobilisation des forces et organisations démocratiques qui s’y opposent.

L'Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et de leurs Ami(e)s
Le 12 février 2015

1. Gilles Manceron. Hélie Denoix de Saint Marc ou la fabrication d’un mythe. In Histoire de la Colonisation. Réhabilitations, Falsifications, Instrumentalisations, Ouvrage collectif sous la direction de Sébastien Jahan & Alain Ruscio, Paris, Éd. Les Indes Savantes, 2007, Prix du livre anticolonialiste 2008

Première guerre mondiale. Un gigantesque port de guerre

le 08 février 2015

Première guerre mondiale. Un gigantesque port de guerre

Initialement simple port de débarquement des troupes qui rejoignent le front franco-allemand, Marseille devient un lieu de passage.

« Les soldats de tous les alliés défilent, sans cesse, dans ses murs : Africains, Anglais, Américains, Russes, Italiens, Australiens, Canadiens, Néo-Zélandais, Martiniquais, Hindous, Annamites, Chinois se coudoyèrent comme au plus important carrefour des grandes voies venant des quatre coins du globe »(1).

Les opérations sur le front d’Orient nécessiteront l’expédition, par la marine de commerce réquisitionnée, de 850.000 hommes, 76.000 chevaux et 150.000 tonnes de matériels. A partir de 1915, c’est un ballet incessant de troupes qui vont et reviennent, troupes fraîches mobilisées dans les différentes colonies, troupes des nouveaux pays entrant en guerre, rapatriement des malades et des blessés…

« Les expéditions des Dardanelles et de Salonique, la défense de l’Egypte contre les Turcs en 1916, puis l’expédition de Syrie en 1917-1918, nécessitèrent des rembarquements et des retours de Britanniques. Enfin il y eut les arrivages des Russes (…). Qu’on ajoute encore à tous ces navires, transporteurs de troupes et de matériel, le va-et-vient incessant des patrouilleurs, chasseurs sous-marins, convoyeurs de navires marchands, enfin les torpilleurs eux-mêmes et on aura une idée de l’animation extraordinaire présentée par le port de Marseille. En définitive, il est certain qu’en 1914 et en 1915 tout au moins, sinon en 1916, le mouvement total dépassa les chiffres de 1913 et cet accroissement aurait suffi à justifier l’encombrement des bassins »(2).

La ville transformée

Pour ravitailler l’Armée des Indes, par exemple, on décharge à la Joliette des troupeaux de chèvres –certaines ethnies ne mangent pas le porc, d’autres la vache– et des milliers de barriques d’eau du Gange pour les ablutions rituelles des soldats bouddhistes. Il est fréquent de compter jusqu’à 50 navires chargés en attente d’une place à quai. Au total, plus de 4 millions de soldats alliés passeront par Marseille, transformant la ville en gigantesque caravansérail, le plus important lieu de transit d’Europe.

L’Écho de Paris du 25  janvier 1916, donne une idée de la ville : « A six heures, sur La Canebière (…), la foule est tellement dense qu’on a peine à se frayer un chemin : les tramways se suivent en longues files, sans cesse arrêtées par l’encombrement des autos trépidantes, des charrois les plus hétéroclites où s’enchevêtrent les voitures de l’armée anglaise, attelées de trois ou six chevaux pattus et conduites par des "tommies" flegmatiques dans le vacarme : les chars à bœufs, les lourdes locomobiles à vapeur, les fiacres remplis d’officiers, les charrettes à bras chargées de fleurs ou de fruits aux couleurs et aux senteurs violentes. Les terrasses des cafés, les trottoirs débordent d’une foule où toutes les races, tous les uniformes, toutes les fantaisies vestimentaires et toutes les guenilles sont confondues et fraternisent… Voici, déambulant, bras et tailles enlacées, des matelots toulonnais, des fantassins coiffés du casque bleu et vêtus de drap horizon ; des Sénégalais, des Belges, des cavaliers de l’armée britannique habillés de kaki, des spahis au burnous rouge, des chass’d’Aff, des Serbes fraîchement débarqués… »(1).

L’arrivée et l’implantation massives de troupes va drainer de nombreuses prostituées. « Parmi les réfugiés on a vu, en novembre 1914, un arrivage de 200 filles de maisons publiques évacuées de la région de Toul : c’était plus que l’effectif des dix seules maisons de ce genre qui subsistaient encore à Marseille. Mais ce qui grossit surtout ce fut le personnel de la multitude d’hôtels meublés et garnis, de bas étage, où la prostitution était pratiquée clandestinement. La police des mœurs ne connaissait que 700 à 800 filles inscrites sur ses registres, mais elle évaluait l’armée des prostituées clandestines à plus de 7.000. Les troupes de passage et surtout celles des camps établis autour de Marseille, leur fournissaient une nombreuse clientèle »(2).

Avec la moitié de ses quais et hangars réquisitionnés dès 1914 pour les transports de troupes et leur ravitaillement, Marseille est alors un des plus grands ports de guerre.

La ville reçoit des flux continus de populations. Aux troupes s’ajoutent des réfugiés des régions envahies de l’Est, du Nord ou de Belgique, des Grecs, des Serbes, des Syriens, des Arméniens rescapés du génocide…

80.000 soldats blessés seront soignés dans les 17 hôpitaux auxiliaires installés dans les lycées, écoles ou pensionnats. 8.000 prisonniers de guerre sont utilisés comme dockers ou dans les travaux publics.

Pour pallier à la pénurie de main d’œuvre qui a suivi la mobilisation, on encourage l’immigration et on a recours à la main d’œuvre coloniale (pas forcément volontaire) : 50.000 Indochinois, 120.000 Nord-Africains, 6.000 Malgaches… Marseille comptait 550.000 habitants en 1911, on estime qu’ils sont 850 000 de 1914 à 1918.

Raymond Bizot (La Marseillaise, le 8 février 2015)

(1) C. Eyraud, Marseille pendant et après la guerre, 1919
(2) P. Masson, Marseille pendant la guerre, 1926

Mémoire. Voyage au bout de l’enfer

le 06 février 2015

Mémoire. Voyage au bout de l’enfer

Des lycéens de la Région ont suivi le pas de Ginette Kolinka, rescapée du camp d’Auschwitz. Dernier témoin vivant, au moment où bien des aspects menacent notre humanité.

Le temps du voyage n’est pas un aboutissement, c’est un temps fort, d’un  processus engagé dans la chaîne de transmission de la réflexion.

Difficile exercice que celui qui consiste à amener, 70 ans après la fin de la guerre, des lycéens et leurs enseignants sur un lieu chargé de mémoire, dans les camps de la mort d’Auschwitz-Birkenau. « Nous avons un devoir d’intelligence à engager, car bien des aspects menacent encore notre humanité », rapporte Olivier Lalieu du mémorial de la Shoah. Depuis 2004, la fondation accompagne dans des voyages d’étude, les lycéens d’une Région qui a toujours souhaité privilégier ce rapport à l’histoire, accompagné de ces derniers grands témoins.

Ginette Kolinka, qui a fêté son 93e anniversaire mercredi, a guidé les pas d’une jeunesse, dont elle voudrait qu’elle bannisse à jamais de son vocabulaire le mot « haine ». Un voyage initiatique dans ce que l’homme a produit de pire. Tout est blanc à Auschwitz, aseptisé dans un ciel de craie, poussant les guides à insister sur la véracité des événements. Il faut avoir beaucoup d’imagination pour comprendre. Ici, le crime est sophistiqué. Servi par une « intelligence » jamais égalée.

Le lieu est vaste. Il réclame une force d’imagination incroyable. On ne vient pas à Auschwitz sans avoir préparé son voyage. Si cela n’entraîne pas de réflexion profonde sur le bien, le mal, l’humanité, il y a de fortes chances pour que l’on soit passé à côté. Nous ne sommes plus dans l’époque, où il suffisait de transmettre. Élève de terminale au lycée Aubrac à Bollène, Léa estime qu’une prise de conscience passe par le concret. Le témoignage de Ginette est plus fort que les livres. « Ils mettent  trop de distance. Ce que j’ai vu me donne encore plus de force ». Cette réalité amène les lycéens à réfléchir sur l’intelligence au service du mal. « A la fin de la terminale, nous sommes censés choisir ce que nous ferons de notre intelligence. Nous commençons à peine à avoir une opinion. Heureusement que nous avons rencontré Ginette », soufflent les lycéens.

Ils ont pris la mesure des conséquences du racisme. « En classe, cela va nous aider pour parler de sujets plus brûlants », assure Katia Krevitz, professeur d’histoire-géo.  Dans le bus qui les ramène à l’aéroport de Cracovie, Ginette interprète le chant des marais. « J’ai eu une belle vie », dit la vieille dame, avant de se séparer de ces adolescents qui avaient le même âge qu’elle lorsqu’elle est arrivée en Pologne.

Cette voix est troublante. Plus personne ne pourra chanter comme elle. « O, terre de détresses, Où nous devons sans cesse piocher. Bruit des pas et bruit des armes, sentinelles jour et nuit, Et du sang, des cris, des larmes, la mort pour celui qui fuit (…) »

Catherine Walgenwitz (La Marseillaise, le 6 février 2015)

« Sans vos professeurs, je ne serai pas là »

Bernard Beignier, nouveau recteur de l’académie d’Aix-Marseille avait tenu à faire le déplacement aux côtés des lycéens et de la délégation de la Région Paca, conduite par Jean-Marc Coppola, Vice-Président délégué aux lycées, au patrimoine et aux investissements régionaux, au voyage d’étude à Auschwitz.

La Région soutient pour la huitième année consécutive les initiatives du Mémorial de la Shoah, auxquelles ont participé mercredi les lycées Aubrac de Bollène, Sévigné de Gap, Fourcade de Gardanne, Célony d’Aix-en-Provence, ainsi qu’une quinzaine de représentants du Conseil régional jeune (CRJ). Au total près de 144 élèves de l’académie d’Aix-Marseille. La visite a été suivie d’une cérémonie en hommage aux victimes, à laquelle Ginette Kolinka a pris part. L’occasion pour le recteur et le conseiller régional d’appeler à poursuivre le travail de réflexion engagé.

Jean-Marc Coppola le premier a invité à agir contre le racisme, l’obscurantisme. « Comment chasser les idées de haine, défendre la liberté, les principes de laïcité, l’humanité dans la différence de ce que nous sommes ».

Le Recteur Beignier a incité les jeunes à comprendre le sens des  mots. « Vous avez constaté le dévoiement de l’intelligence. Ce n’est pas une valeur. Elle ne peut pas se mettre au service du pire », avant de les pousser à utiliser leurs études dans le bon sens. Et c’est vers Ginette Kolinka que se sont ensuite tournés tous les regards. « Supprimez le mot haine de votre vocabulaire. Pensez que la haine est égale au mot Birkenau », a lancé de toutes ces forces, la vieille dame. « C’est à vous que je demande : "défendez-nous". Mais ce sont vos professeurs que vous devez remercier. Car s’ils ne se démenaient pas pour vous faire venir, je ne serai pas là devant vous ».

La Marseillaise, le 6 février 2015

Accusés d’être juif et communiste

Il n’aurait pas été possible d’imaginer un autre anniversaire que celui-là, pour Ginette Kolinka, 93 ans, ce mercredi 4 février, jour où elle a refait le chemin de son voyage vers l’enfer, avec les lycéens de la région Paca.

Ginette avait 19 ans quand elle a été déportée au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie en Pologne. La dernière d’une famille de 7 enfants avait été dénoncée alors qu’elle avait quitté avec sa famille Paris, pour Avignon, où elle sera dénoncée. « On nous accusait d’être juif et communiste. »

Elle se rappelle de ce 13 mars 1944, où deux hommes en manteau de cuir les attendaient à son domicile, avant d’être embarqués pour Drancy. A leur arrivée en avril 1944, son père de 61 ans et son petit frère de 12 ans seront envoyés dans les chambres à gaz. « Papa et Gilbert sont partis. Je ne les ai plus jamais revus. Quand on est arrivé, je voyais la fumée sortir des cheminées. Je croyais que c’était mon usine et que j’allais bientôt travailler ». Ginette ne savait pas. « Les nazis avaient réfléchi à la façon de nous tuer et de nous humilier. Mais tout cela ne leur suffisait pas. Des femmes qui n’ont rien d’humain, pour garder leur place nous ont fait souffrir. Nous faisions nos besoins côté à côte. Mais qui a eu cette idée ? »

Dans cette usine de la mort, des enfants, des femmes, des hommes seront gazés et brûlés. La sélection était là sur nos têtes tout le temps. Ginette Kolinka sera transférée vers un autre camp, en janvier 1945 dans ce que l’on a appelé « la marche de la mort ». Ginette ne savait pas pour les chambres à gaz, « parce que personne n’en n’était sorti pour expliquer. Si seulement on pouvait écouter les pierres ». Ginette ne se rappelle plus de cette forêt, au loin derrière les baraques. La peur était devenue son quotidien.

Elle ne parlera de ce voyage au bout de l‘enfer que bien des années plus tard. Aujourd’hui encore, elle témoigne de ce douloureux passé plus facilement aux lycéens qu’à ses proches. Parfois la vieille dame doute de son inlassable travail de mémoire. « Tout le monde écoute, mais est-ce qu’ils ressentent quelque chose. Je ne sais pas. Des négationnistes disent que tout cela n’a pas existé », s’inquiète-t-elle.

Les yeux de Ginette Kolinka pétillent encore de malice. Elle a toujours envie de chanter. Une joie de vivre qui ne l’a jamais quittée, même si elle commence à exprimer quelques doutes. Qui demain s’attachera à restituer cette vérité, lorsque les grands témoins ne seront plus là pour en parler ?

La Marseillaise, le 6 février 2015

Jacques Broda. « Besoin de penser et se penser autrement »

le 02 février 2015

Jacques Broda. « Besoin de penser et se penser autrement »

Le sociologue propose un séminaire philosophique à partir de samedi à la Maison de la Région, sur La Canebière. L’occasion de démontrer comment la réflexion peut nourrir l’action.

Sortir le nez des livres, interroger le réel, voir ce qu’il en ressort. C’est un peu le fil conducteur qui sous-tend la démarche de Jacques Broda. Ce professeur de sociologie à l’origine des « univers-cités populaires », envisagées dès 1992, ne cesse de s’y appliquer. Que ce soit dans des ateliers d’écriture qu’il anime ou dans ses travaux de recherche. Aujourd’hui, il propose de s’appuyer sur la pensée d’Emmanuel Levinas et la notion « d’immémorial » développée par le philosophe. L’occasion de s’interroger face à une crise du politique et, peut-être, trouver les moyens d’agir. Ce sera l’objet du séminaire organisé en ce début d’année à la Maison de la Région. Ce cycle de conférences démarre samedi et se poursuit jusqu’au 21 mars.

La Marseillaise. Ce séminaire organisé, sous l’égide du Collège international de philosophie, s’appuie sur les travaux d’Emmanuel Levinas. Vous comptez aborder la « question sociale ». Qu’entendez-vous par là ?

Jacques Broda. Après quarante ans de recherche dont 18 ans d’ateliers d’écriture, j’en suis arrivé au constat que la question sociale est philosophique. Quand je parle de « question sociale », je me réfère à Robert Castel qui a écrit Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat. Je n’aime pas les expressions toutes faites de type « être ensemble », « vivre ensemble » ou « lien social ». Ce n’est d’ailleurs pas la réalité. Pour moi, en 2015, la première question sociale, c’est la faim. C’est la première question à résoudre. Il y a des tas de gens qui ne mangent pas à leur faim en France. Cela a des conséquences sur leur état physique mais aussi psychique. Pour Levinas, « être » c’est d’abord « manger ». On ne peut pas demander à une personne humaine d’être dans une éthique, une politique, sans manger à sa faim. C’est une obligation sociale.

La Marseillaise. Vous parlez d’une « philosophie réelle ». En quoi cela consiste-t-il ?

Jacques Broda. Confronté à des gens qui ne mangent pas à leur faim, en lisant des articles sur la pauvreté et l’exclusion, je me suis posé la question de l’éthique réelle. Je développe une philosophie réelle qui vient de ce qui « est ». Pas de ce qui est imaginé… Je pars de la réalité. De ce point de vue, je suis matérialiste. Je ne suis pas idéaliste. Je réhabilite le concept d’âme qui –à mon avis– n’a pas forcément une connotation religieuse. Quand j’arrive dans les collèges et les lycées, où je tiens des ateliers, j’aborde les élèves par rapport à leur âme. Et non, par rapport à leur origine sociale, ethnique ou leur âge. Pour moi, l’âme, c’est ce qui spécifie le sujet du point de vue de son « unicité ». C’est le rapport de soi à soi, ce qu’on sait sans savoir. L’âme va au-delà de l’apparence. Mais en même temps, elle se construit.

La Marseillaise. « Aborder les gens par leur âme », cela permet-il d’éveiller la conscience politique ?

Jacques Broda. La question sociale, c’est de manger pour vivre. Mais le but de Levinas consiste à être autrement qu’être. Au-delà de manger, il s’agit d’être par rapport à autrui, et donc cela relève de l’éthique. Mais il s’agit aussi d’être par rapport à tous les autres, ce qui relève du politique. Comment partir de l’un pour aller vers l’autre ? L’ouverture à l’autre passe par l’amour ou, plus exactement, par la bonté. Pour Levinas, être, c’est être responsable de l’autre. Tout en découle : mon rapport à l’homme, à la femme, à la famille, à la société, à la guerre…

La Marseillaise. Ce séminaire est ouvert au grand public. Ne craignez-vous pas qu’il se résume à un rendez-vous de spécialistes ?

Jacques Broda. Tout le monde peut venir. Ce séminaire se tient sous l’égide du Collège international de philosophie. Ma démarche philosophique ne cède pas sur l’essentiel, ni sur la pensée. C’est un pari. Il part de l’idée que le travail collectif sur la pensée peut bouger les lignes. Peut-être qu’au détour de ce séminaire, il y aura dix personnes qui « seront » autrement que ce qu’elles sont. Quand je vais dans les collèges et lycées, il y a une faim de philosophie. Les gens ont besoin de penser et de se penser autrement. Je vais essayer d’offrir des outils de réflexion qui peuvent, ensuite, se traduire en outils d’action.

La Marseillaise. Ce type de réflexion peut-il conduire à des déclics ?

Jacques Broda. Il peut y avoir des déclics mortifères, gravissimes… Il faut reconnaître que le contexte ne va pas. Mais, à partir du moment où l’on se fonde sur une nouvelle éthique, on peut passer du passif à l’actif. Soit on va plus loin pour soutenir ses valeurs. Soit on se rend compte que l’on fait fausse route, du point de vue de l’éthique, et dans ce cas, on passe à autre chose. Je fais le pari que ce séminaire sera un temps de « conversion » (pas au sens religieux du terme). Je n’aurais pas fait tout cela pour rien !

Propos recueillis par Marjolaine Dihl (La Marseillaise, le 2 février 2015)

Les quatre rendez-vous à venir

Ce séminaire, intitulé « L’Immémorial » en référence au concept développé par Emmanuel Levinas, se déroulera sur quatre matinées, de 10h à 12h, à la Maison de la Région.

Pour le premier rendez-vous, prévu ce samedi, Jacques Broda tiendra une conférence autour du thème « Au début était la faim ». De quoi introduire sa réflexion sur « la question sociale ». La second rendez-vous aura lieu samedi 14 février. Il portera sur « la fraternisation impossible ». L’occasion de distinguer les notions de solidarité et de fraternité. La séance suivante est organisée pour le 14 mars. Elle sera enrichie du témoignage de Sonia Serra, responsable départementale du Secours populaire et membre du réseau European Social Action Network (Esan). Cette dernière fournira son approche sur la façon dont « le travail solidaire rencontre la philosophie ».

Dernier rendez-vous : le samedi 21 mars. Il sera conduit en présence d’Augustin Giovannoni, professeur agrégé de philosophie, qui s’appuiera sur les textes d’Emmanuel Levinas et Jacques Derrida pour évoquer « la question de l’hospitalité inconditionnelle ». Ce dernier enseigne dans un lycée marseillais. Il a par ailleurs publié deux livres, l’un intitulé « Immanence et finitude chez Spinoza » (en 1999) et l’autre « Les figures de l’homme trompé » (en 2011).

La Marseillaise, le 2 février 2015

Maison de la Région,  61, La Canebière (1e). Inscriptions au 04.91.57.57.50 ou maisondelaregion@regionpaca.fr.

UPR. La Libération et les années tricolores (1944-1947)

le 02 février 2015

Maison de la Région
61, La Canebière
13001 - Marseille

Mardi 3 février à 18h30

Conférence de Robert Mencherini, historien.

Le débarquement allié du 15 août 1944, sur les côtes varoises, donne le coup d’envoi de la libération de la Provence. Le 28 août, prises sous le feu de l’armée française de Libération et de l’insurrection populaire, les troupes allemandes capitulent à Marseille. Les nouveaux pouvoirs républicains se mettent en place, sous la direction du commissaire régional de la République, Raymond Aubrac. S’ouvre alors, jusqu’en 1947 et l’instauration de la 4e République, une période décisive de transition.

Ce 4e volume de la série Midi rouge, ombres et lumières, après avoir présenté un tableau du département pendant l’été 1944, puis les combats de la Libération, analyse les diverses étapes de ce processus, à Marseille et dans sa proche région. Il évoque les problèmes auxquels les nouvelles institutions ont à faire face : l’effort de guerre, le ravitaillement et le redressement économique, l’épuration, le maintien de l’ordre, le retour des absents (déportés, prisonniers de guerre, requis du STO), le rétablissement de la démocratie, les grandes réformes économiques et sociales. Dans ces années tricolores et d’union nationale, il s’intéresse au rôle et à la stratégie des divers acteurs politiques et sociaux, des organisations de Résistance, du patronat et de la classe ouvrière, des syndicats et partis, PCF, SFIO, MRP, et aux destins individuels dont certains d’importance nationale comme ceux de Gaston Defferre, François Billoux ou Germaine Poinso-Chapuis. Il ne néglige pas pour autant les mutations culturelles importantes d’une période effervescente.

Cet ouvrage complète L’histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, commencée par la période des années 1930. Il comble aussi, à la lumière des recherches les plus récentes et en s’appuyant sur de nombreux fonds d’archives publics et privés, une lacune historiographique.

La Libération et les années tricolores est le quatrième volume de cette histoire politique et sociale des Bouches-du-Rhône dont sont déjà parus Midi rouge, Ombres et lumières Les années de crises, 1930-1940, Vichy en Provence (1940-1942) et Résistance et Occupation (1940-1944).