Ceux qui sont dans la misère, dans la souffrance, sociale, économique, d’identité, sont absolument égaux en dignité et en liberté… donc ils ont droit à la beauté, ils ont droit à la dignité des émotions, ils ont droit aux meilleures joies. Nous demandons à tous ceux qui transmettent du savoir, des signes et des oeuvres de nous donner la puissance de notre propre mouvement, c’est-à-dire l’énergie de la transformation du monde dans lequel nous vivons.
Il est temps de choisir entre une culture désignée comme rapport de force à l’intérieur d’un dispositif ou la culture comme un rapport d’autorité. Au contraire des rapports de pouvoir fondés sur la violence, l’autorité est une forme de domination tout à fait paradoxale : c’est une domination égalitaire. C’est une dissymétrie dans l’égalité. Il n’y a pas d’autorité par la contrainte. Si vous ne reconnaissez plus une autorité, elle n’a plus d’autorité. Être auteur c’est exercer une autorité.
Le pouvoir veut toujours être le pouvoir. L’autorité ne veut pas être toujours l’autorité. L’autorité donne à l’autre le pouvoir d’occuper à son tour la place de l’autorité. L’enfant prendra sa place. L’élève pourra devenir maître. Le spectateur pourra devenir créateur. Pas forcément artiste dans le domaine qu’il voit, mais sujet de son action, cause de sa pensée, cause de son action afin de se réapproprier ce que nous avons tous à égalité : une énergie inaugurale. Nous avons tous en nous la capacité de prendre la parole, de juger, de répondre de notre désir, de notre parole et de notre action.
Un artiste n’est pas sans pouvoir, mais partage le pouvoir qu’il a avec celui à qui il s’adresse. On n’est pas artiste parce qu’on fait une oeuvre, on est un artiste parce que celui à qui l’on s’adresse reconnaît dans l’oeuvre qu’on lui adresse les propres conditions de sa liberté et de sa dignité. Plus l’oeuvre qui nous est adressée est une offre de liberté, une offre du possible, plus le suspens provisoire de notre action va recueillir l’énergie d’agir… La forme que l’on donne à ce que l’on produit, crée, trahit la place et la dignité que l’on donne à celui à qui l’on s’adresse. Et la phrase de Lacan est formidable pour ça : « Le style c’est l’homme, c’est l’homme à qui l’on s’adresse. »
La culture que nous appelons de nos voeux est une fréquentation du désordre, de la dé‑liaison dans la solitude. C’est un processus de subjectivation, qui conduit le sujet à la nécessité de découvrir qu’il ne peut se construire sans l’autre. La question de la culture pose radicalement la présence d’une énergie révolutionnaire à partir même de l’angoisse, de la dislocation, du séisme, du désordre et du chaos… à partir de quoi le possible peut se construireIl y a une histoire. Une histoire des visibilités, une histoire du spectacle, une histoire du regard, qui est inséparable de l’histoire économique et politique et financière qui est en train de nous arriver. Si nous lâchons sur cette question de la culture et de l’éducation, nous abandonnons tout espoir de vie politique. « C’est quoi une vie politique ? » Cela peut se dire selon quatre dons : donner la parole, donner du plaisir, donner du temps, et donner du travail.
Marie-José Mondzain
philosophe, directrice de recherche au CNRS
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.